L’argent est le nerf de la guerre, cela est bien connu et les ONG n’y échappent pas. Avoir des ressources financières suffisantes permet de garantir la pérennité des opérations mais aussi et surtout, celle de la structure. Mais comment s’assurer de ressources financières régulières lorsque le cœur d’action d’une ONG est non pécunier ? Comment justifier auprès du grand public la nécessité des fonds et leurs utilisations ? Pour mettre la lumière sur ce sujet parfois épineux, j’ai eu le plaisir d’échanger avec Antoine Dejoie, coordinateur de mission pour Ophtalmo Sans Frontières au Cameroun. Cette ONG, créée en 1987 par des ophtalmologues, lutte contre la cécité et le désert médical lié aux soins oculaires. Plus que cela, l’ONG a également comme objectif de former les acteurs médicaux d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale en soins de santé primaires ophtalmologiques. De par son expérience de terrain au sein de cette ONG au fonctionnement particulier, Antoine constate chaque jour la nécessité pour ces dernières de développer un volet d’autofinancement.

Les différents types de don

Pour mettre en place des actions et les faire perdurer dans le temps, les ONG ont besoin de ressources financières continues. Et comme le relève Antoine, ces ressources peuvent avoir différentes origines. On distingue en priorité les dons issus de la générosité du grand public, sensible à la cause défendue par l’ONG. Les entreprises, motivées par la RSE, sont aussi amenées à faire des dons aux ONG et les sommes peuvent s’avérer être conséquentes. Ici, il est question de fonds privés qu’il faut distinguer des fonds publics. Pour ces derniers, ce sont des organismes de l’État qui versent ces sommes à travers des subventions suite à des appels à projet. Et pour la France, on peut citer entre autres l’Agence Française de Développement

Parmi ces différentes ressources financières, Antoine souligne que la grande majorité des financements des ONG restent toutefois publics. À l’exception de certaines structures, comme Médecin Sans Frontières, qui peuvent compter sur la grande générosité de leurs donateurs.

 

Faire le choix de l’indépendance

Avoir recours à des financements extérieurs, notamment publics, c’est devoir suivre une feuille de route précise. Et, bien que justifier l’utilisation des fonds s’avère nécessaire, cela peut vite devenir contraignant comme l’affirme Antoine. Certains bailleurs de fonds publics exigent l’allocation d’un certain pourcentage aux postes de dépenses ou l’existence de co-financements. Il faut également noter que ces subventions sont versées en différentes parties et que le versement des sommes restantes est conditionné à certains critères. Et ce dernier point peut rapidement poser problème lorsqu’un fossé se crée entre les décisionnaires exerçant depuis le siège et les réalités du terrain auxquelles sont confrontées les équipes. En plus de cela, avoir recours à des bailleurs de fonds publics amène bien souvent les ONG à devoir créer un poste spécifique à cela, comme le souligne Antoine, et donc à prévoir des fonds supplémentaires pour financer un salarié. 

« Le nerf de la guerre c’est d’avoir des fonds non ciblés pour avoir une plus grande marge de manœuvre dans les décisions. »

Antoine Dejoie

Comme bon nombre d’ONG, Ophtalmo Sans Frontières a été confronté à la nécessité d’avoir recours à des ressources financières continues. Cela s’est avéré davantage nécessaire compte tenu de l’envie de l’ONG de se développer et d’offrir des soins de qualité. Plusieurs hypothèses ont été émises, dont avoir recours à des financements publics, et l’ONG a rapidement été confrontée aux limites qui ont pu être citées ci-dessus. La nécessité de trouver une alternative s’est avérée primordiale et c’est à ce moment-là que l’idée d’autofinancement a été mise en place. Amener les bénéficiaires à payer une partie des soins à un coût réduit a permis à Ophtalmo Sans Frontières de développer une source de revenus continue. Et cela, sans freiner l’accès aux soins des populations mais aussi en lui permettant de réinvestir dans une logique de qualité.

Ce mode de fonctionnement, bien que peu commun, est ici idéal pour permettre aux ONG de bénéficier d’une liberté d’action et de rester décisionnaire. Cela amène aussi, comme le rappelle Antoine en prenant l’exemple d’Ophtalmo Sans Frontières, de réduire les postes non essentiels ou encore de faire preuve davantage de rigueur dans les dépenses. Il existe toutefois des inconvénients amenant les ONG à devoir suivre à la loupe chaque dépense mais aussi à se retrouver parfois limité dans certains choix de développement trop coûteux

 

Assurer la pérennité de l’ONG

Faire le choix de l’autofinancement c’est devoir développer des sources de revenus régulières et fiables. Et dans cette optique, Ophtalmo Sans Frontières a réussi à s’autosuffire à hauteur de 99%. Pour arriver à un tel niveau, cela nécessite une véritable stratégie concernant la gestion financière, parfois similaire à celle d’une entreprise. L’anticipation doit être de rigueur et dans le cas Ophtalmo Sans Frontières qui agit dans le domaine médical, cela passe par le développement d’une base logistique lui permettant de réparer l’existant plutôt que d’avoir recours à du neuf ou encore d’écarter tout matériel à usage unique pour privilégier ce qui peut être réutilisé. S’ajoute à cela la mise en place d’actions génératrices de revenus comme a pu le faire cette ONG à travers les consultations payantes citées plus haut. Bien que cette stratégie ne puisse pas s’appliquer à tous les domaines d’intervention et tous les contextes, elle nécessite toutefois d’être étudiée pour permettre aux ONG d’être davantage autonomes.  

 

 

Diversifier au maximum ses ressources est un véritable défi financier pour une ONG. Qu’elles soient issues de bailleurs de fonds ou d’actions d’autofinancement, la rigueur reste toutefois similaire pour pérenniser les actions et permettre leur développement. Reste aux ONG de choisir le modèle de financement qui correspond le mieux à leur choix d’indépendance et de marge de manœuvre.