D’après l’ONU, l’année 2024 a été la plus meurtrière jamais enregistrée pour les travailleurs et travailleuses humanitaires. Pas  moins de 380 humanitaires ont perdu la vie, quand d’autres ont été victimes de violences physiques, d’enlèvements ou d’entrave à leurs activités. Un lourd tribut payé qui rappelle que la violence à l’encontre des humanitaires est une réalité et qu’elle ne cesse de croître à hauteur que les conflits et les crises s’intensifient. Pour analyser cette urgence et essayer d’en décrypter les enjeux, j’ai eu le plaisir d’interviewer Protect Humanitarians. Fondée par Olivier Vandecasteele, cette ONG a pour mission de plaider pour une meilleure protection des humanitaires et d’alerter sur l’insécurité dont ils et elles peuvent être victimes. Elle se donne aussi comme mission d’accompagner les humanitaires ayant subi des incidents en fournissant une assistance d’urgence sur différents volets.


Rappelons que cette interview s’inscrit dans le cadre du Podcasthon, le premier évènement caritatif qui regroupe des podcasteurs francophones d’univers différents autour d’un objectif, mettre la lumière sur des causes associatives et permettre au grand public de découvrir cela et pourquoi pas, de s’engager à leur tour.

Une nette augmentation des incidents

Comme indiqué en introduction, mais aussi souligné par Protect Humanitarians, 2023 a déjà été une année record où près de 600 humanitaires ont été victimes d’incidents. 2024 a tristement battu ce record soulignant une exposition croissante à la violence et au non-respect du Droit International Humanitaire. Des incidents sans précédents amenant les humanitaires à être tués, blessés, ou comme Olivier l’a vécu pendant 456 jours en Iran, enlevés et détenus arbitrairement. Ces incidents peuvent être des attaques ciblées liées à la condition même d’humanitaire ou encore des incidents liés à l’exposition à un environnement instable ou de conflit armé. Protect Humanitarians souligne par ailleurs que les humanitaires nationaux sont davantage exposés à ces menaces et intimidations mais sont toutefois ceux qui sont le moins soutenus. Et c’est dans une optique de soutien que l’ONG se donne aussi comme mission d’accompagner les humanitaires ayant subi des incidents en fournissant une assistance médicale, psychologique ou encore juridique aux survivants et/ou aux familles des victimes. 

Cet environnement de violence perpétuelle, associé au sentiment d’insécurité ou de stress, sont également des facteurs de risques psycho-sociaux comme l’affirme Protect Humanitarians. L’exposition aux événements possiblement traumatiques impacte la santé mentale et le volet émotionnel des humanitaires amenant à de possibles épuisements, à des situations de burn-out ou de stress post-traumatique.

Ces attaques répétées et délibérées, mais aussi impunies, n’impactent pas seulement les humanitaires puisqu’elles viennent entraver l’apport de l’aide aux populations, amenant les ONG à se retirer de certaines régions pour assurer la sécurité de leurs équipes. Pénalisant davantage les populations civiles qui, en plus d’être prises dans l’étau d’un conflit, font face à des besoins exacerbés. Protect Humanitarians souligne également que les incidents physiques ne sont pas les seules entraves à l’apport de l’aide, puisque les menaces politiques et entraves administratives peuvent également rendre difficile le travail des humanitaires. Cela se traduit par exemple par l’expulsion d’une ONG du territoire national, par des démarches administratives lourdes ou comme vu récemment, par la réduction des aides financières allouées à l’action humanitaire.

 

Plaider pour une meilleure protection

Des mécanismes de protection doivent être mis en place à destination du personnel humanitaire. Il peut s’agir de formation en sécurité, de plan de contingence et d’évacuation. Toutefois, et comme l’ONG le rappelle, si certaines initiatives peuvent être mises en place pour prévenir tout incident physique, l’instabilité de l’environnement, ou encore les agissements des parties au conflit, peuvent rendre difficile leur efficacité. Protect Humanitarians souligne également que les ONG doivent aller plus loin en renforçant les mécanismes de soutien sur l’aspect psychologique et bien-être à travers des briefings et débriefing, une assistance psychologique ou encore des programmes de prévention face aux risques de stress ou de burn-out

«  C’est un enjeu fondamental pour la durabilité du secteur. Si l’on veut préserver les principales ressources des ONG – en particulier leur personnel national – il est crucial de renforcer significativement la protection et le soutien psychologique aux travailleurs humanitaires de première ligne et aux ONG locales. »

Protect Humanitarians

Protect Humanitarians rappelle également l’importance d’une protection juridique via le système d’assurance pour faire face aux risques d’accidents, de maladies ou encore d’enlèvements. Et l’ONG souligne là encore la disparité entre la couverture dont bénéficient les humanitaires internationaux face à celle des équipes locales qui sont, pour le rappeler, en première ligne

Les ONG ne sont pas les seules qui peuvent renforcer la protection des humanitaires, la diplomatie joue un rôle important et Protect Humanitarians souligne celui des États en ce sens. Ils peuvent renforcer le cadre juridique pour la protection des humanitaires en ratifiant et appliquant le Droit International Humanitaire, en respectant et en faisant respecter les Conventions de Genève et protocoles additionnels. C’est par exemple le cas de la diplomatie Suisse qui a proposé la résolution 2730 portant sur la protection du personnel humanitaire ; texte adopté en mai 2024 par le Conseil de sécurité de l’ONU. Face à l’urgence, Protect Humanitarians rappelle que les Etats signataires aux Conventions de Genève ont l’obligation de respecter mais aussi de faire respecter les normes sur la Protection du personnel humanitaire. 

 

Accompagner et soutenir après l’incident

L’une des missions premières de Protect Humanitarians est de soutenir et accompagner les humanitaires survivants d’incidents ainsi que les familles de victimes. Et l’ONG souligne qu’il y a encore des initiatives à mettre en place pour améliorer cet accompagnement post-incident. Les ONG peuvent, et sont même incitées, à partager leurs pratiques et expériences sur ces volets. Car rappelons-le, un incident peut être isolé pour une ONG mais ne l’est pas pour le secteur humanitaire. Au-delà du partage des connaissances, la prise en charge immédiate est un mécanisme à développer et à associer à un soutien psychologique, point sur lequel insiste Protect Humanitarians. Cette prise en charge doit être accessible de façon équitable à l’ensemble du personnel humanitaire de manière confidentielle. Il est également important d’accompagner sur le volet juridique les survivants ou encore de soutenir les familles endeuillées dans les cas de décès. 

 

Amplifier la voix des humanitaires victimes et survivants pour impulser le changement

Lutter contre l’impunité et engager des poursuites judiciaires, lorsque les humanitaires ont délibérément été pris pour cible, relève de la responsabilité des États. Cela passe par des commissions d’enquêtes indépendantes ou encore le renforcement de la coopération avec les instances juridiques comme la Cour pénale internationale. Mais pour cela, et comme le rappelle Protect Humanitarians, la voix des humanitaires victimes doit être mise en avant et entendue mais ils doivent être associés au travail de réflexion et de sensibilisation.

 

 

Si vous êtes sensible au domaine d’intervention de Protect Humanitarians, n’hésitez pas à partager leur travail et à parler de cette ONG autour de vous. Pour les personnes désireuses d’aller plus loin, il vous est également possible de vous engager bénévolement ou de faire un don.  Pour cela, rendez-vous directement sur le site de Protect Humanitarians.