Dans l’épisode 21 du podcast La solidarité en avant, nous avions abordé l’importance de prendre en compte la santé mentale des communautés accompagnées compte tenu des environnements très difficiles dans lesquels elles se retrouvent et de l’impact que cela peut avoir sur elles. Ce sujet ne peut être complet sans aborder à son tour la santé mentale des acteurs humanitaires qui se retrouvent dans les mêmes environnements et subissent des effets similaires. Pour aborder en détail cela, j’ai eu le plaisir d’échanger avec Sébastien Couturier, travailleur humanitaire auprès du CICR pendant 18 ans. Son expérience de terrain dans des zones de conflits armés, mais aussi et surtout son histoire personnelle, ne fait que confirmer la nécessité de mettre en place des mécanismes de prise en charge psychologique avant, pendant et au retour des missions de terrain.
Dans l’épisode 21 du podcast, nous avions repris la définition de la santé mentale proposée par l’OMS.
Sébastien complète cela en spécifiant que la santé mentale regroupe tout ce qui affecte l’humain, de près ou de loin. Cela peut provoquer un mal-être, voire un traumatisme, dont les effets sont visibles ou non, et pour y faire face, l’humain tente de mettre en place des mécanismes de protection. Et dans le cas des travailleurs humanitaires, les contextes de conflit et d’instabilité sont propices à ces traumatismes. Sébastien va d’ailleurs plus loin puisque selon lui, l’impact sur la santé mentale d’une mission humanitaire peut commencer dès la phase de préparation si celle-ci n’est pas abordée de la meilleure des façons (savoir-vivre, savoir-être, rester humble vis-à-vis des interlocuteurs, connaissance du pays et de ses us et coutumes, raisons du départ, capacité d’adaptabilité etc.).
L’un des objectifs d’une ONG, en plus de son mandat d’intervention, est d’assurer au maximum la sécurité de ses équipes. Et cela commence par le fait de libérer la parole, sans tabou, ni crainte, sur les possibles défis et interrogations auxquels ils pourront faire face sur le terrain et les accompagner en ce sens, sans crainte de jugement ou de dévalorisation. Sébastien n’hésite d’ailleurs pas à s’appuyer sur sa propre expérience pour souligner cette nécessité au risque que ces tabous puissent, à court ou long terme, provoquer des troubles, parfois non diagnostiqués et donc non traités, comme le stress post-traumatique. Il propose comme solution la mise en place de pair-aidant humanitaire pour soutenir et écouter les collègues dans le besoin soulignant également qu’il existe une multitude de mécanismes possibles, internes ou externes, le tout étant de privilégier des outils favorisant la confiance et la confidentialité. Il rappelle également que la pair-aidance n’est pas seulement nécessaire pour faire part de sentiments négatifs mais peut être aussi très utile pour partager des victoires quotidiennes que seuls les humanitaires pourraient comprendre compte tenu de l’environnement difficile dans lequel ils se trouvent.
Au même titre que la préparation au départ est essentielle, l’accompagnement au retour l’est tout autant car il peut être brutal comme l’affirme Sébastien. Les humanitaires passent d’un environnement stressant, où l’esprit est constamment en état d’alerte, à un environnement de paix qui laisserait penser à une menace à venir.
« Le corps était là mais mon esprit était toujours en mission sur le terrain. Je me retrouvais en état d’hypervigilance et stressé à cause du silence de la paix. En mission le silence était le prélude à quelque chose de pire mais à qui tu peux dire ça sans passer pour un fou. »
Sébastien Couturier
Ce décalage parfois violent peut perdurer un long moment si l’accompagnement nécessaire n’est pas proposé et si, comme cité plus haut, le tabou quant à ces ressentis ne sont pas levés. Et il est de la responsabilité des ONG de préparer à ce retour et ne pas voir comme une menace ce besoin d’accompagnement psychologique comme le rappelle Sébastien.
Sous-estimer l’impact psychologique d’une mission sur le terrain est indéniablement une erreur à ne pas commettre pour les travailleurs humanitaires mais aussi et surtout pour les ONG qui doivent mettre la santé mentale de leurs équipes au premier plan. Comme le souligne Sébastien, au-delà de l’environnement difficile dans lequel les humanitaires peuvent travailler, des conditions de travail et de vie confortables facilitent leur quotidien et leur bien-être. À l’inverse, négliger cela peut causer, à court ou long terme, un turn-over important et une répétition d’incidents de sécurité ayant pour cause un stress important, une fatigue extrême ou encore un burn-out.