L’expression « humanitaire » est généralement utilisée pour faire référence à toute action d’ONG permettant d’apporter une assistance immédiate ou accompagner une communauté. Il est plus judicieux de regrouper ces interventions sous la bannière d’action d’urgence ou de développement, deux thématiques d’interventions différentes mais tout aussi complémentaires. Pour échanger en détail sur ce sujet, j’ai eu le plaisir d’interviewer Marion Abonnenc. De par son désir de formation continue mais aussi ses expériences de terrain dans des contextes difficiles, Marion a été confrontée à différents environnements et enjeux lui permettant d’assimiler l’importance d’une bonne préparation à toute action dite humanitaire.
Lorsque l’on parle d’humanitaire, il est utile de distinguer le type d’action en fonction de l’environnement d’intervention mais aussi des besoins identifiés. Et comme le souligne Marion, l’urgence diffère du développement. Pour le premier cas, il s’agit d’actions avec une temporalité bien spécifique puisque l’objectif est de secourir, protéger et répondre de façon urgente à un besoin primaire suite à un événement majeur tel qu’un déplacement massif de population, suite à un conflit armé, ou après une catastrophe naturelle. Ce type d’action s’inscrit donc dans un environnement fortement instable, parfois même risqué pour les acteurs humanitaires. S’agissant des actions de développement, ces dernières s’inscrivent davantage dans un objectif d’impact à long terme mais aussi et surtout dans un environnement moins explosif comme le rappelle Marion. L’objectif est ici de travailler avec les communautés à leur développement en s’attaquant aux causes des problématiques identifiées.
« Il y a un enjeu central qui est de comprendre où l’on met les pieds. »
Marion Abonnenc
Bien que différents de par les éléments cités ci-dessus, ces domaines restent toutefois liés par certains aspects. Marion affirme qu’avant toute action d’urgence ou de développement, il est nécessaire d’analyser et de comprendre l’environnement d’intervention et de continuer cet exercice compte tenu de l’instabilité, dans le cas d’action d’urgence, ou de la croissance, pour le développement, qui peuvent impacter ce même environnement. Elle rappelle qu’il est aussi primordial de connaître l’histoire de l’environnement, les acteurs en présence, et leurs intérêts, au risque d’être dans l’incapacité d’obtenir les résultats escomptés. Pire encore, d’accentuer une situation déjà complexe en référence au principe “do no harm”, qui signifie ne pas nuire, et qui est l’une des pierres angulaires de l’action humanitaire.
Lorsque la catastrophe semble maîtrisée et terminée, on passe d’une situation de crise à une situation de post-crise où les populations entrent dans une phase de reconstruction. C’est à ce moment-là que les acteurs de l’urgence et du développement sont amenés à travailler conjointement, dans la limite des mandats de chacun. Cette phase de transition doit nécessairement être anticipée comme le souligne Marion en, encore une fois, prenant le temps d’analyser l’environnement mais également en prenant le temps d’écouter les populations, leurs histoires et leurs besoins, pour faire avec eux et non pas sans eux. Encore plus après un événement traumatisant qui laisse de lourdes séquelles et où il devient difficile, voire inconcevable, de parler de futur. Et on peut prendre l’exemple des générations entières impactées par la guerre et les déplacements comme cela est actuellement le cas au Soudan, en Syrie ou à Gaza.
Cette phase de capitalisation, bien qu’elle puisse sembler longue, est donc nécessaire et la négliger, en s’empressant, risque d’apporter des solutions non adaptées au contexte. C’est aussi prendre le risque de faire perdurer le mandat des acteurs de l’urgence, pire encore, de poser le terreau d’une nouvelle crise. Et Marion, à travers ses expériences de terrain, a pu être témoin de cela.
Pour aller plus loin dans cette réflexion, Marion souligne l’importance d’analyser le monde actuel et d’en tirer des questionnements afin d’être toujours en meilleure capacité d’intervenir. Pour elle, il est donc essentiel de penser hors du cadre pour faire face à un système qui montre malheureusement ses limites. Et penser hors du cadre c’est prendre en compte les acteurs locaux, la population comme les acteurs associatifs, avec les accords comme les désaccords possibles et les mettre au centre des actions mises en place. C’est aussi connaître et maîtriser les pratiques pour en proposer de plus innovantes et adaptées.
L’urgence et le développement se différencient par des procédures et des objectifs différents, cela va jusqu’à l’utilisation d’un vocabulaire propre à chaque contexte. Cette distinction permet de mieux identifier le cadre d’intervention et les réponses à apporter, ce qui rend l’aide plus ciblée et donc plus efficace. Cette différenciation a également permis l’émergence de spécialités (assainissement, nutrition, agronomie etc.) et de corps de métier (logisticien, fundraiser etc.) permettant la professionnalisation du secteur de l’humanitaire.