L’année 2024 a connu son lot de conflits armés, de catastrophes naturelles aux lourdes conséquences ou encore d’urgences alimentaires ou sanitaires. Toutes ces crises ont touché des zones déjà fragiles et n’ont fait qu’accentuer les inégalités présentes et difficiles à éradiquer, faisant ainsi augmenter les besoins en aide humanitaire. Pour ses prévisions 2025, le Programme alimentaire mondial estime qu’il lui faudra près de 17 milliards de dollars pour répondre à l’insécurité alimentaire au Sahel ou encore à Gaza. Pour échanger sur l’état actuel de l’aide humanitaire, j’ai eu le plaisir d’interviewer Fatou Elise Ba. Chercheuse à l’IRIS, chargée du Programme Humanitaire et Développement, elle a aussi co-dirigé avec Jean-François Corty, Président de Médecins du monde et chercheur associé à l’IRIS, la revue L’aide internationale, instrument d’émancipation ou de contrôle ? publié en juin 2024 aux éditions IRIS.
L’intensification des crises accentue les besoins en aide humanitaire, que cela soit face à des conflits médiatisés, comme en Ukraine ou à Gaza, ou à des crises prolongées, et dans certains cas oubliées, comme le souligne Fatou. Elle rappelle également qu’aujourd’hui, on estime à 300 millions le nombre de personnes ayant un besoin d’assistance et de protection humanitaire. Et bien que les financements alloués aux différentes crises augmentent, ils ne couvrent pas suffisamment les besoins recensés qui ne cessent de s’intensifier, laissant toujours plus de personnes en difficulté.
L’accès dans certaines régions, en zone de conflit notamment, reste également un défi majeur pour les acteurs humanitaires qui ne sont pas en capacité d’apporter une assistance d’urgence en toute sécurité. Pénalisant d’autant plus les populations qui, en plus d’être prises dans l’étau d’un conflit, sont face à des besoins exacerbés comme à Gaza. Et bien que ce point n’ait pas été directement abordé lors de l’échange, il est à rappeler que d’après l’ONU, 2024 est l’année la plus meurtrière jamais enregistrée pour les travailleurs et travailleuses humanitaires.
En plus des défis cités précédemment, s’ajoute également celui du changement climatique qui oblige les humanitaires à composer avec cette nouvelle donne et à tenter d’y apporter une réponse rapide.
D’autant plus que la multiplication et l’intensification des phénomènes climatiques extrêmes sont responsables de plus de la moitié des déplacements internes et externes, comme le rappelle Fatou, et touchent des zones déjà sous tension. Des zones où les crises perdurent depuis des décennies et desquelles il est difficile de sortir compte tenu de la pauvreté, des inégalités sociales mais aussi d’un cumul de différents facteurs d’aggravation amenant à une dépendance vis-à-vis de l’aide, comme au Soudan ou en RDC.
Comme le souligne Fatou, le financement de l’aide humanitaire, issu principalement des pays du Nord, amène d’une façon ou d’une autre à orienter celle-ci. Et au-delà de son financement, il est également nécessaire de relever qu’elle est également pensée au Nord. Cela au point où les organismes locaux, qu’ils soient sous la bannière d’ONG ou de regroupement de la société civile, sont vus, non pas comme des partenaires à part entière, mais comme des prestataires.
« Les organisations de la société civile récipiendaires sont souvent vues comme des prestataires dans l’établissement de programme humanitaire et de développement. Et ceci, malgré leur expertise qui est reconnue. »
Fatou Elise Ba
Cela a indéniablement un impact sur l’efficacité et la cohérence des actions mises en place. Et il est même question d’iniquité, comme l’affirme Fatou, car cette aide s’inscrit dans un rapport de force Nord-Sud et ne laisse pas la place à l’autonomisation et à l’émancipation. Voir même, fait perdurer une situation de dépendance avec des situations d’urgence perpétuelles et de crises continues.
Pour toute action humanitaire, se pose la question de la temporalité. Et les actions d’autonomisation doivent être pensées en même temps que celles de l’aide apportée et avec l’ensemble des acteurs, qu’ils soient du Nord ou du Sud. Mais aussi les États qui ont une responsabilité dans le développement sociétal et qui, dans certaines régions, se sont désengagés, comme le met en avant Fatou sur le sujet de la santé. S’ajoutent également d’autres enjeux liés à l’émergence de nouveaux acteurs mais aussi au rôle d’influence que peut jouer l’aide humanitaire. Et prenant en compte cela, des mécanismes doivent être mis en place, ou repensés, pour prendre en compte, intégrer et valoriser les acteurs locaux, les accompagner dans la résilience ou encore l’accès au financement qui est aujourd’hui quasi impossible sans partenariat avec une ONG du Nord.
La localisation de l’aide a donné lieu à de nombreuses recherches et à des débats soulignant la nécessité de repenser les mécanismes d’intervention et d’améliorer la proximité de celle-ci avec le terrain et les acteurs les plus proches des besoins. Et comme conclut Fatou, afin d’éviter de reproduire de mauvaises pratiques et de manquer d’éthique.